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Rock Biz

Il y a 41 ans précisément, je me suis lancé dans le rock business. Par pure passion. Parce qu'étudiant en école de commerce, la vie associative, après les années prépa, était une libération et nourrissait cette envie irrépressible d'aller explorer des territoires nouveaux et inconnus.

Bref, nous avons monté une asso, avec quelques comparses fans hardcore de new wave et post-punk. Rouen était une ville rock, avec son disquaire mythique, Mélodie Massacre, sise dans la rue éponyme, ses groupes mythiques, Les Dogs, Les Olivensteins, et sa salle qui vit se produire la fine fleur des groupes en devenir, l'EXO7.

Dans ce contexte porteur, et plutôt que rejoindre la classique et boring junior entreprise, pourquoi ne pas se lancer dans l'organisation de concerts ? Premier challenge, une fois le patron de la salle convaincu, trouver un groupe. Qui ne soit pas déjà entre les mains d'un tourneur. Ou déjà en tournée. Brainstorming, lancement de noms, trucs inaccessibles, groupes découverts chez Bernard Lenoir et ayant souvent déjà splitté après une exposition éphémère, trucs plus ou moins obscurs mais excitant nos oreilles et notre imagination. L'idée générale : éduquer les masses, ouvrir les chakras, partager nos goûts… et nous faire plaisir.

Quelqu'un proposa Eyeless In Gaza. Le nom traînait probablement dans Rock&Folk ou Best. Achat d'un album du groupe, pour la POC (comme on dirait plus tard dans le monde de la tech. Proof Of Concept). En 1983-84, pas de Wikipedia. Pas d'Internet. Pas de sources autre que l'écoute rapide d'un vinyle chez un disquaire. Et pas de mail ni de Whatsapp ni de compte Instagram pour entrer en contact direct avec le groupe.

Je ne sais plus qui a fait l'intermédiaire de l'intermédiaire. Mais nous sommes tombés d'accord sur une date. Hors tournée, il fallait faire venir le groupe d'Angleterre pour un seul concert. Eyeless In Gaza par chance était un duo pratiquant une musique minimaliste. Peter Becker et Martyn Bates voyageaient léger, avec le minimum de matériel. Le rider, cette classique liste des exigences d'un artiste pour se mettre en condition avant le set, nous fut communiqué. Un plat végétarien et de la bière. Et côté matos, un ampli Fender Twin, afin que Martyn Bates puisse plugger sa guitare.

L'histoire prouva que si le végétarien se contente d'une salade de riz sans moufter, la bière constitue aussi un aliment à part entière et qu'un duo, ça consomme. Ravitaillement en vol nécessaire backstage.

L'histoire prouva aussi que quand un musicien local propose de prêter son ampli, une poignée de main, "rock'n'roll, mec", ça signifie aussi qu'il faudra prévoir un défraiement en cash.

L'histoire prouva par ailleurs, que dans le monde du rock’n’roll, même les colleurs d'affiches sauvages ont un tarif.

L'histoire prouva enfin, quand lorsque le groupe pour je ne sais plus quelle raison ne put traverser la Manche à temps et que nous dûmes faire le tour des radios locales pour annoncer le décalage d'une journée du concert… il faut avoir un moral d'acier, le cœur bien accroché. Plus tard, je découvris le concept de résilience.

Résultat des courses : une salle quasi-pleine, mélange improbable d'étudiants de Sup de Co Rouen plutôt branchés France Gall, Sade et Gérard Blanc et d'habitués de l'EXO7 (moins ceux qui n'ayant pas eu l'info faute d'invention d'Internet se pointèrent la veille).

Un déficit, aussi.

Et une passion intacte.

Certes, l'aventure n'eut pas de lendemain. Et entra dans la légende comme le cas d'école du truc à ne pas refaire. Une évidence pour les sages étudiants d’école de commerce, jeunes gens amateurs de variété, bien dans les clous, et ne rêvant que de vendre de copieurs, faire carrière dans la banque, faire de l'audit ou marketer des savonnettes…

En 2025, Eyeless In Gaza se fait rare. Mais est toujours actif. Voix intacte et minimalisme assumé.

En 2025, je continue d'interviewer des groupes en devenir, d'aller dans les petites salles à la découverte de nouveaux sons. Pour le kif. Et j'ai fait mien le mantra de Neil Young. Hey hey my my rock'n'roll will never die. My my hey hey, rock'n'roll is here to stay.

Précision : Eyeless In Gaza tire son nom du titre d'un livre (assez chiant) d'Aldous Huxley (titre français : La paix des profondeurs). Inutile de se lancer dans des interprétations géopolitiques ou polémiques.

Catégories : Musiques, Pop culture Lien permanent

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