Il est toujours étonnant d'attaquer une interview express en employant le tutoiement quand tu t'adresses avec respect à ton invité en employant le "vous" qui va bien. Parce qu'on a été éduqué, et tout le tralala. Parce que Bertrand Burgalat est un personnage unique dans le paysage musical français, à la fois décalé et totalement dans son époque, époque sur laquelle il porte un regard lucide et parfois à contre courant des idées reçues. Il suffit de lire sa chronique mensuelle dans Rock & Folk pour s'en rendre compte. Une chose est certaine, il suit son chemin, sans compromis, il fait ce qu'il aime, il produit la musique qu'il aime et rien que pour cela il mérite respect, considération voire piédestal.
Bertrand Burgalat, c'est un style, voire même un pur concept. Avec ce look étudié, du costume aux lunettes, d'un cadre des années 80 bossant à La Défense, qui témoigne d'un art du contrepied permanent. Et cet art, on aime. Bien évidemment. Car on est loin des artistes générés, quasi-clonés, dans les télé-crochets, où des avatars interchangeables aux voix stéréotypées se contentent de réinterpréter des standards du moment, sans risque. Ou bien des artistes autotunés, qui produisent de manière quasi-mécanique ce qui se vend à l'heure actuelle. Et donnent naissance à de multiples clones. Comme disait l'autre, prenez et écoutez en tous, jouissez de la musique indé, gorgez-vous de sons inédits, ceci est juste et bon. Aimez la pop qu'on ne vous sert pas au kilo ou au kilomètre, cette bande-son permanente et neutre qu'on nous sert dans les parkings, les ascenseurs, les centres commerciaux, les salles d'attente... Trop de musique tue la musique, ou du moins le discernement. Voire le bon goût, même si, comme je le dis et le répète comme un mantra, "à chacun son sale goût".
On aurait été tenté de croire que le grand supermarché musical qu'est Internet avec ses échoppes, des plateformes, cette technologie qui fait que chacun peut aspirer à la gloire et au succès à partir du moment où il dispose des moyens de production, de réalisation et de distribution, aurait permis l'émergence de l'inédit, de l'originalité absolue... Déception. Vu le bordel ambiant, la masse, le volume, le gloubi-boulga planétaire, il est devenu, pour un artiste non formaté, compliqué d'émerger. Pour se faire entendre, faire son trou, il faut des passeurs, des prophètes, des croyants. Et des sachants qui savent quelque chose, qui ont quelques neurones de plus et le discernement qui va avec, pour séparer le bon grain de l'ivraie, l'exceptionnel du mainstream, le produit de niche du produit manufacturé pour la masse. Il faut aussi une putain de foi chevillée au corps. Et ce petit je ne sais quoi, voire ce grand je ne sais quoi que ni les algorithmes ni les logiciels ne sauraient remplacer.
Tout cela pour dire le plus grand bien de ceux qui font, les artisans qui font de la belle ouvrage, comme on dit. Avec la classe et l'élégance. Aux industriels, on préférera les artisans. Car la bonne musique est un artisanat de luxe. Il y a celle qu'on entend d'une oreille distraite et celle qu'on écoute, bien calé au chaud, un verre d'alcool vieux à la main (il fût un temps où il y a avait des salles de concert... mais la bamboche étant terminée pour encore je ne sais combien de temps, on va jouer l'option confinée).
Avant d'accueillir le Sieur Burgalat, qui nous parle aussi bien de Ravel que des Kinks, parlons de son actu. Un prochain album sort cet été, et deux BO sont déjà dans les bacs : celle de l'excellent film de Marc Fitoussi, "Les Apparences" (avec Benjamin Biolay et Karin Viard) et celle du documentaire de Camille Juza, De Gaulle bâtisseur. Et tout ceci chez Tricatel.
Si tu ne devais garder qu’un seul album de toute ta discothèque ?
J’hésiterais entre Pet Sounds, des Beach Boys, et Daphnis et Chloé, de Ravel.
Si tu ne devais garder qu’une seule chanson ?
Je t’aimais bien tu sais, de Léo Ferré, Parler d’Amour, de Reggiani, Nous deux, de Caussimon, Dans ma maison d’amour, de Vassiliu, Song for insane times de Kevin Ayers, Waterloo Sunset des Kinks ? Je ne saurais pas quoi choisir !
Le truc le plus inavouable caché dans ton iPod, iPad, collection de CDs, K7, vinyles, favoris de ta plateforme de streaming, etc ?
Il ne faut jamais avoir honte de ce qu’on aime. J’ai quelques documents intéressants, comme la chanson Giscard Bongo (Bienvenue au Président Giscard d’Estaing) par Tchibanga, 45 tours édité par Polydor en 1976, du très bon afro-funk.
Le truc le plus triste - celui qui te plonge dans un abime insondable de tristesse ?
Certaines musiques joyeuses, Telstar, par exemple, de Joe Meek, qui me rappelle les fêtes foraines de mon enfance.
Le truc le plus joyeux - qui te donne la patate et que tu écoutes systématiquement pour te rebooster ?
Something ‘bout believing, de Duke Ellington.
Le morceau que tu ne peux plus écouter ?
J’ai toujours beaucoup de plaisir à réécouter les disques que j’ai aimés sincèrement.
Le morceau ou l’artiste que tu zappes systématiquement ?
Sloop John B, sur Pet Sounds.
Idole absolue - s’il n’en reste qu’une ?
Bowie chez les morts, Delon chez les vivants.
Kim Jong-un ou Kim Kardashian (ou Kim Wilde, Kim Basinger, Kim Deal, Kim Dotcom, Kim Fowley, etc.) ?
On m’avait proposé d’aller jouer en Corée du Nord, mais bon je prendrais Kim Weston, pour sa reprise d’Eleanor Rigby, que je préfère à l’original.
Ton objet-culte, ton doudou ?
Je n’en ai pas vraiment, même si je suis très attaché à des objets du quotidien qui appartenaient à mes parents, ça peut être une serviette de bain ou un cendrier, qui me donnent l’impression qu’ils sont toujours là.
Drogue préférée ?
Les champignons, je n’en ai pas pris depuis longtemps.
Alcool préféré ?
Idem, je ne bois plus depuis 20 ans, mais il doit encore rester du whisky dans mes artères.
Tes premiers mots en tant que Miss France ?
“Merci aux Victoires et à tous ces prix qui ne me calculaient jamais, ils m’ont poussé à changer de discipline.” Et j’enchainerais avec la tirade de Francis Lalanne sur les ronds-de-cuir.
Fuir mais où ?
Je connais bien la montagne chez moi dans les Pyrénées centrales, ça devrait me laisser un peu de marge sur les poursuivants.
Si tu ne devais faire qu’une seule émission de télé ou de radio ?
JLPP (Jacky Lave Plus Propre) sur IDF1 : c’est la seule émission de télé qui m’invite, et Jacky Jakubowicz est formidable.
Film culte de chez culte ?
Observe and report, de Jody Hill, avec Seth Rogen.
Livre culte de chez culte ?
Showbiz? Si vous saviez…, de Robert Toutan attaché de presse (c’est écrit comme ça).
Marc Lévy ou Guillaume Musso ?
Je n’en ai lu aucun mais ils ne me dérangent pas, dans le genre auteurs à succès j’aime beaucoup Bernard Minier.
La fin justifiant les moyens, jusqu'où es-tu prêt(e) à aller pour faire partie des 50 personnalités préférées des français ?
Ca ne demande aucune compromission, il suffit de ne rien faire et de se montrer dans des émissions caritatives pour demander aux gens qui n’ont pas beaucoup d’argent d’en donner à ceux qui en ont moins.
Un dernier mot ?
Break, d’Aphrodite's Child.
On termine cette séquence sur quelques notes signées Bertrand Burgalat, BO "De Gaulle bâtisseur" (Tricatel).