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  • Eagles of Death Metal, rock'n'roll et attitude

    Les Eagles of Death Metal ont fini leur concert parisien. La chose a été plus que médiatisée. L'Olympia est devenu hier soir plus qu'un lieu hype. Les psychologues se sont exprimés, on a vu fleurir dans des médias improbables des considérations sur la setlist du groupe. Quelques avis ont tranché ça et là, revenant sur les déclarations tonitruantes de Jesse Hughes à propos des flingues... Bref, comme d'habitude, il y a eu du sérieux, du moins sérieux et du n'importe quoi. J'adore le n'importe quoi. Surtout quand il s'agit de rock'n'roll. 

    In antiquis temporibus, le rock était chose maudite, le truc qui faisait peur aux parents, aux bourgeois, aux institutions. Et ceci était bon. Celui qui en écoutait le faisait d'abord par plaisir, et pour le plaisir de faire chier son prochain. Plaisir secondaire, mais néanmoins procurant une forme de jouissance. Don't criticize what you don't understand. Dylan avait raison. Vos mômes ne sont plus sous votre contrôle. Eclats de rire narquois des mômes. Les sales gosses ont gagné. Il y eût Tipper Gore dans les années 80, l'épouse de Al "une vérité qui dérange" Gore, en croisade contre les affreux métalleux sataniques. Je revois ces images de Frank Zappa en costard allant défendre la cause devant le Sénat américain... Jouissance. Le rock conservait sa dimension consubstantiellement hédonique. Le son à fond, hey ho, let's go. 

    Les mômes ont eu des mômes. Il y a eu passage, transmission générationnelle. On allait au concert en famille. On se réjouissait de voir ses enfants puiser dans la discothèque familiale pour remplir leur iPod de pépites issues du répertoire des Who, des Stranglers. Il y eut même ce glorieux moment personnel où l'une de mes filles de demanda de baisser le son alors que j'écoutais Suicidal Tendencies à un volume sonore forçant le respect, dans le but probablement inconscient d'emmerder mes voisins, comme je l'avais pratiqué pendant ma sage adolescence... Ecouter du rock avait quoi qu'il en soit, perdu son potentiel de nuisance. C'était devenu une affaire de goût personnel. De sale goût. Mais quelque part quelque chose de mainstream. PhilMan était juré de la Nouvelle Star, Ungemuth pigiste au Figaro...

    Mais revenons aux Eagles of Death Metal. Pas un groupe majeur jusqu'au 13 novembre. Un groupe qui entre dans l'Histoire de manière follement, tragiquement, atrocement contingente. Un groupe comme il y en a des dizaines aux Etats-Unis. Un groupe que j'avais vu à Rock en Seine en 2009, parce que porté par la complicité entre Jesse Hughes et Josh Homme. Cette année-là, j'avais laissé glisser le concert puissant et sympathique des EODM, et avais franchement joui quelques minutes plus tard en écoutant Them Crooked Vultures, Josh Homme, Dave Grohl, John Paul Jones. Comme j'étais en transe lors du concert des Queens of the Stone Age l'année suivante. Josh Homme, toujours. Il n'était pas à Paris le 13 novembre. Qu'importe. Il fait partie de ces hyperactifs de la cause rock'n'rollienne, toujours sur la brèche, toujours sur un projet. Ne se reposant pas sur les ventes colossales d'un seul album et faisant des breaks interminables le temps d'assurer le service après-vente. Il crée. Comme Ty Segall, mais aussi comme les grands des 70s. Comme Bowie, capable de sortir coup sur coup, sans plan marketing particulier un album majeur par an. Comme Picasso, créatif, touche à tout. Multi-instrumentiste, expérimentateur, apprenti-sorcier. D'EODM, j'avais retenu l'attitude toute en déconne de Jesse Hughes, parodiant les postures des stars du rock. Un côté volontairement Spinal Tap. Et une musique puissante. Pas follement originale, mais finalement conforme aux standards de base du rock, jouer fort, se donner à fond pour son public, suer, déconner, faire le show. 

    Aujourd'hui, EODM est entré dans la légende. Par la case attentat. Il y a eu des concerts tragiques, des morts dans des festivals. Mais jamais de tuerie de masse. On peut comprendre l'émotion, le trauma du type qui est sur scène dans une posture hédoniste, qui se prend la tragédie dans la gueule, qui voit son monde d'entertainment et de déconne inoffensive s'effondrer devant lui. Ce n'est pas rien. Qu'aurions-nous fait à sa place, hein? On se serait chiés dessus, on aurait flippé, on aurait pas joué les Rambo. Je suis prêt à le parier. Et ouais, Tuco, dans la vie, il y a deux type d'individus, ceux qui ont des Kalach et ceux qui creusent. Hélas. EODM est un groupe mineur et tragique. Fin de l'histoire. Un groupe de rock'n'roll, sans prétention particulière autre que le fun, le gros son. L'une des multiples facettes du rock, entre Bono (je vais à Davos causer avec les grands de ce monde de la planète qui va mal), et Chris Martin (je suis tellement transparent que je ne dis rien et le rock c'est un job comme un autre)... 

    Finalement, il est réjouissant que d'aucuns s'offusquent encore de déclarations à l'emporte-pièce sur Dieu, Donald Trump et les flingues. Il est réjouissant que certains s'étranglent à propos des gestes obscènes de Phil Anselmo. Dans un monde où tout est lissé, calculé, où chaque parole est pesée, marketée, calibrée. C'est la légende du rock. C'est son essence, faite de sueur et de foutre. D'attitude. Ted Nugent est un vieux con, chasseur et fan de la NRA. N'empêche que même plus de 30 ans après sa sortie, Cat Scratch Fever est un monument. Jerry Lee Lewis est un vieux con méchant. Whole Lotta Shakin Goin' On, une des pierres angulaires du rock. Iggy, même assagi, restera toujours le vieil oncle sale qui montre sa bite et raconte des histoires salaces devant les enfants le soir de Noël. La liste est longue. 

    Le rock doit conserver son potentiel de nuisance. Continuer à faire un petit peu peur. Ne pas être un exemple pour la jeunesse. Ni pour la vieillesse d'ailleurs. Et faire chier. Agacer. Enerver. Choquer. Etre excessif. Bordélique. Faire saigner les esgourdes. Etre mal élevé, doigts dans le nez, majeur levé, mal coiffé. Pour nous rappeler qu'on est vivants. Et pas juste de braves petits soldats qui font où on leur dit de faire, dans un monde aseptisé fait de limiteurs de bruits, de législation anti-tout, de religieux hyper-sensibles de tous poils et plumes, de politiques prêts à tout pour plaire, de divertissement de masse et esprit festif obligatoire. 

    Hey Hey My My Rock'n'roll Will Never Die

    Catégories : Humeur, Musiques Lien permanent